L'héritage de la nightlife française a commencé avec les bars clandestins de la guerre, a émergé dans le grand public, est redevenu clandestin et s'est finalement épanoui dans des réjouissances publiques non dissimulées.

Selon&nbsp;Maurice Sachs, &eacute;crivain et amateur de la vie nocturne parisienne, les premi&egrave;res salles de danse ont ouvert leurs portes &agrave; Paris il y a cent ans, en 1921. Pendant la Premi&egrave;re Guerre mondiale, les soir&eacute;es mondaines et les bals n&#39;&eacute;taient pas consid&eacute;r&eacute;s comme appropri&eacute;s pour les jeunes femmes, mais la bo&icirc;te de nuit n&#39;a pas tard&eacute; &agrave; faire son apparition. Jusque-l&agrave;, les bals populaires se tenaient &agrave; Montmartre ou Montparnasse pour les bourgeois et les aristocrates, mais la salle de danse a inaugur&eacute; une nouvelle &egrave;re dans laquelle les femmes pouvaient s&#39;aventurer seules et sans jugement en toute s&eacute;curit&eacute;.&nbsp;Sachs&nbsp;&eacute;crit dans la d&eacute;cennie de l&#39;Illusion : Paris 1918-1928 : &quot;Un vrai dancing a des murs laqu&eacute;s de rouge, des lanternes orange et bleues ; un clair-obscur et des mains press&eacute;es ; &agrave; gauche, un orchestre de tango, &agrave; droite, un groupe de jazz : piano, trombone, saxophone, batterie et cymbales en coquillage.&quot; En 1925, on compte plus d&#39;une centaine de ces &eacute;tablissements r&eacute;partis dans la capitale.&nbsp;Le Perroquet,&nbsp;Chez Florence,&nbsp;Florida,&nbsp;Gaya,&nbsp;Bricktop&nbsp;et&nbsp;Delli&#39;s&nbsp;ne sont que quelques noms aujourd&#39;hui oubli&eacute;s. Il ne reste plus que&nbsp;Maxim&#39;s&nbsp;et&nbsp;Le Boeuf sur le Toit, ce dernier ayant &eacute;t&eacute; r&eacute;cemment restaur&eacute; par le designer&nbsp;Alexis Mabille. Gr&acirc;ce &agrave; sa popularit&eacute; aupr&egrave;s de l&#39;avant-garde parisienne, notamment le po&egrave;te&nbsp;Jean Cocteau,&nbsp;Le Boeuf&nbsp;reste un symbole des ann&eacute;es folles. Les ann&eacute;es d&#39;entre-deux-guerres marquent la p&eacute;riode des grands bals surr&eacute;alistes d&#39;Etienne de Beaumont&nbsp;ou de&nbsp;Charles de Noailles&nbsp;dans leur h&ocirc;tel pr&egrave;s de la place des &Eacute;tats-Unis.&nbsp;

Ce Paris en pleine effervescence dansante &eacute;tait aussi d&eacute;bauch&eacute; que l&#39;&eacute;poque post-r&eacute;volutionnaire du XVIIIe si&egrave;cle, lorsque les proches de ceux qui avaient perdu la vie sous la guillotine pendant le r&egrave;gne de la Terreur organisaient des bals de victimes. C&#39;&eacute;tait l&#39;&eacute;poque des bordels les plus somptueux, o&ugrave; les hommes - et aussi les couples - venaient finir la nuit avec des femmes et du champagne coulant &agrave; flot. Les noms de ces &eacute;tablissements sont rest&eacute;s c&eacute;l&egrave;bres :&nbsp;Le Sphinx,&nbsp;Le Chabanais&nbsp;et&nbsp;Le One-Two-Two, tristement c&eacute;l&egrave;bre pour avoir servi d&#39;antenne &agrave; la Gestapo pendant l&#39;occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale.&nbsp;

Soirée dansante à Paris en 1931. Illustration tirée du livre "Paris" publié par Ernest Flammarion © The Print Collector ; Carte postale française ancienne faisant la publicité de la salle de bal Bullier vers 1900 © Paul Popper ; Marie-Hélène de Rothschild et le peintre espagnol Salvador Dali arrivant au Lido en 1973 © Patrice Picot ; Spectacle au Lido en 1931 © Gamma- Keystone ; Danse au Zellie en 1929 © Bettmann

Apr&egrave;s la guerre, la vie nocturne parisienne devient souterraine. M&ecirc;me apr&egrave;s que les soldats am&eacute;ricains aient cess&eacute; de faire retentir leurs sir&egrave;nes de raid a&eacute;rien, les zazous du&nbsp;Tabou&nbsp;ou du&nbsp;Caveau des Lorientais&nbsp;ont l&#39;habitude de se cacher dans les caves, et le sous-sol se met &agrave; r&eacute;sonner au son du Bebop am&eacute;ricain. A l&#39;&eacute;poque, il n&#39;y a pas de sonorisation. M&ecirc;me les micros, anc&ecirc;tres des platines, sont rares. Le violon est rapidement remplac&eacute; par un groupe - souvent l&#39;&eacute;crivain et musicien&nbsp;Boris Vian&nbsp;ou le clarinettiste de jazz&nbsp;Claude Luter&nbsp;- sur une petite sc&egrave;ne, et des corps en mouvement, parmi lesquels&nbsp;Marc Doelnitz,&nbsp;Anne Marie Casalis,&nbsp;Juliette Greco&nbsp;et&nbsp;Michel de R&eacute;.

Ce mouvement souterrain a commenc&eacute; le 11 avril 1947 au 33 rue Dauphine. Les propri&eacute;taires de&nbsp;Tabou&nbsp;ont invit&eacute; la client&egrave;le du&nbsp;Caf&eacute; de Flore&nbsp;apr&egrave;s la fermeture du c&eacute;l&egrave;bre caf&eacute; &agrave; minuit. La chanteuse&nbsp;Juliette Greco, qui avait laiss&eacute; tomber son manteau dans la cave, d&eacute;couvre le sous-sol et s&#39;arrange avec les propri&eacute;taires pour le louer comme local de r&eacute;p&eacute;tition. C&#39;est ainsi qu&#39;est n&eacute;e la premi&egrave;re bo&icirc;te de nuit parisienne.&nbsp;

Barney Wilen et Juliette Greco © Ullstein Bild via Getty Images

Les ann&eacute;es 1950 sont marqu&eacute;es par le r&egrave;gne de&nbsp;Jean Castel&nbsp;et de&nbsp;R&eacute;gine Zylberberg. C&#39;est au Palais Royal que&nbsp;R&eacute;gine&nbsp;ouvre son premier club,&nbsp;Le Whisky &agrave; Gogo. Elle s&#39;installe ensuite sur la rive gauche et ouvre le&nbsp;Jimmy&#39;s&nbsp;&agrave; Saint-Germain, puis &agrave; Montparnasse avec le&nbsp;New Jimmy&#39;s, qui devient embl&eacute;matique de la vie nocturne parisienne. Avec l&#39;&eacute;tablissement de&nbsp;Jean Castel, rue Princesse, le couple attire une client&egrave;le internationale : des stars du cin&eacute;ma am&eacute;ricain, des rockers anglais, des mannequins glamour, mais aussi les&nbsp;Windsor&nbsp;(&agrave; qui&nbsp;R&eacute;gine&nbsp;apprend &agrave; danser le twist),&nbsp;Jacqueline Onassis&nbsp;et le&nbsp;Shah d&#39;Iran. Mais ce sont les habitu&eacute;s, perch&eacute;s sur le grand canap&eacute; &agrave; l&#39;entr&eacute;e du&nbsp;New Jimmy&#39;s&nbsp;ou sur les banquettes du&nbsp;Castel&nbsp;qui sont l&#39;&acirc;me de ces lieux :&nbsp;Sagan&nbsp;et sa bande,&nbsp;Annabelle Buffet,&nbsp;David de Rothschild,&nbsp;Philippe Junot, l&#39;acteur&nbsp;Jean Pierre Cassel, les mannequins de&nbsp;Catherine Harl&eacute;, les call-girls de&nbsp;Chez Claude. Au&nbsp;Castel,&nbsp;Alain Delon&nbsp;flirte avec&nbsp;Nathalie Barth&eacute;l&eacute;my, qui deviendra sa femme, tandis qu&#39;&agrave; quelques pas de l&agrave;, la future&nbsp;Bianca Jagger&nbsp;danse avec son partenaire du moment, le producteur de disques&nbsp;Eddie Barclay. Non loin de l&agrave;,&nbsp;David Niven,&nbsp;Andy Warhol&nbsp;et&nbsp;Eddie Sedgwick&nbsp;se m&eacute;langent. Au&nbsp;New Jimmy&#39;s, les soir&eacute;es se terminent &agrave; l&#39;aube dans l&#39;appartement de&nbsp;R&eacute;gine, au-dessus du club, o&ugrave; la foule se r&eacute;gale de ses fameuses boulettes de viande pour absorber tout l&#39;alcool.

Mick Jagger et Bianca Jagger chez Castel en 1977 © Bertrand Rindoff Petroff via Getty Images

Dans les ann&eacute;es 1970, la jet-set prend le relais de la haute soci&eacute;t&eacute;, ce qui n&#39;est pas &eacute;tonnant puisque c&#39;est aussi le d&eacute;but du mouvement de lib&eacute;ration sexuelle. Les clubs gays de la ville, autrefois cantonn&eacute;s au quartier du Palais Royal ou aux quartiers difficiles de Pigalle, s&#39;installent dans la rue Sainte-Anne ou sur l&#39;avenue de l&#39;Op&eacute;ra. Le plus c&eacute;l&egrave;bre &eacute;tait&nbsp;Le Sept, dirig&eacute; par&nbsp;Fabrice Emaer, un ancien coiffeur.&nbsp;Le Sept&nbsp;a accueilli tout le monde, d&#39;<a href="https://www.lofficiel.be/mode/yves-saint-laurent-en-5-silhouettes-signatures" target="_blank">Yves Saint Laurent</a>&nbsp;&agrave;&nbsp;<a href="https://www.lofficiel.be/mode/karl-lagerfeld-85-ans-de-punchlines" target="_blank">Karl Lagerfeld</a>&nbsp;et leurs entourages respectifs. En 1978,&nbsp;Emaer&nbsp;ouvre la plus grande folie parisienne,&nbsp;Le Palace, qui deviendra la version fran&ccedil;aise du&nbsp;Studio 54&nbsp;de New York.&nbsp;

Marisa Berenson en 1978 © Jean-Claude Francolon via Getty Images

Inaugur&eacute; par un concert hors norme de&nbsp;<a href="https://www.lofficiel.be/art-culture/grace-jones-en-6-films-incontournables" target="_blank">Grace Jones</a>, avec notamment une interpr&eacute;tation de &quot;La Vie en Rose&quot; chant&eacute;e du haut d&#39;une&nbsp;Harley Davidson&nbsp;rose, le&nbsp;Palace&nbsp;attire une foule branch&eacute;e et &eacute;clectique, dont la reine du punk&nbsp;Edwige Belmore,&nbsp;Louis Aragon,&nbsp;Madame Gr&egrave;s, et des personnalit&eacute;s comme&nbsp;Loulou de la Falaise&nbsp;et&nbsp;Thad&eacute;e Klossowski. Le&nbsp;Palace&nbsp;a apport&eacute; un tout nouveau niveau de glamour &agrave; la sc&egrave;ne nocturne et a vu se produire les&nbsp;Talking Heads, les&nbsp;B-52&#39;s&nbsp;et&nbsp;<a href="https://www.lofficiel.be/hommes/prince-en-20-tenues-de-scene-extraordinaires" target="_blank">Prince</a>.

La princesse Caroline et Phillipe Junot vers 1977 © Sonia Moskowitz via Getty Images

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Au&nbsp;Palace, se tiennent les derniers grands bals parisiens avant la Haute Couture, et&nbsp;Christian Dior&nbsp;les relance pour la fashion week. &Agrave; la m&ecirc;me &eacute;poque,&nbsp;Fabrice Coat&nbsp;reprend un ancien bain public situ&eacute; pr&egrave;s des Halles et cr&eacute;e les premiers&nbsp;Bains Douches, que l&#39;on compare au&nbsp;Mudd Club&nbsp;de New York. Au d&eacute;but des ann&eacute;es 80, les&nbsp;Bains Douches&nbsp;sont connus pour leur client&egrave;le issue du show-business et leur app&eacute;tit pour la coca&iuml;ne.&nbsp;

Les rockers et les punks font la navette entre le&nbsp;Gibus, dans le quartier de Paris R&eacute;publique, et&nbsp;La Main Bleue, un repaire au sous-sol de l&#39;h&ocirc;tel de ville de Montreuil, o&ugrave; se m&ecirc;lent des clients v&ecirc;tus en cuir noir et o&ugrave; l&#39;on danse sur la musique de&nbsp;Serge Kruger.

Dans les ann&eacute;es 80,&nbsp;Le&nbsp;Palace&nbsp;se modernise et devient&nbsp;Le Privil&egrave;ge, et&nbsp;Les Bains Douches&nbsp;deviennent&nbsp;Les Bains. Les branch&eacute;s de la ville se retrouvent au&nbsp;Tango, au&nbsp;Rose Bonbon, &agrave; l&#39;Op&eacute;ra Night&nbsp;et au&nbsp;Royal, un lieu situ&eacute; non loin de l&#39;Olympia. La&nbsp;Main Jaune&nbsp;est le lieu des amateurs de patins &agrave; roulettes et de Mezcal. C&#39;est le moment de la musique reggae-salsa qui sera bient&ocirc;t suivie par le rap au&nbsp;Globo&nbsp;et les rave parties dans les endroits abandonn&eacute;s de la ville.&nbsp;

Les DJs sont rapidement devenus des superstars avec des r&eacute;sidences dans des clubs sp&eacute;cifiques.&nbsp;David Guetta&nbsp;fait tourner les platines du&nbsp;Chance, qui deviendra plus tard le&nbsp;Moloko. Pendant ce temps,&nbsp;Marthe Lagache&nbsp;et&nbsp;Franck Chevalier&nbsp;(le mari de&nbsp;Nina Hagen) ouvrent le club le plus amusant et le plus &eacute;clectique de la fin des ann&eacute;es 80 : le&nbsp;Zoopsie&nbsp;&agrave; Bobino. Sur les Champs-&Eacute;lys&eacute;es, plusieurs endroits chics pour les riches et c&eacute;l&egrave;bres ouvrent leurs portes, o&ugrave; l&#39;acteur&nbsp;Anthony Delon&nbsp;d&eacute;file avec ses petites amies, dont la princesse&nbsp;St&eacute;phanie de Monaco.&nbsp;

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Les ann&eacute;es 90 ont &eacute;t&eacute; domin&eacute;es par le club&nbsp;Queen, qui &eacute;tait charmant sinon un peu vulgaire. Il y avait aussi l&#39;inoubliable&nbsp;LaScala. Pendant ce temps,&nbsp;Cathy Guetta&nbsp;r&eacute;cup&egrave;re l&#39;indestructible&nbsp;Le Bains Douches, tandis que&nbsp;R&eacute;gine&nbsp;se retrouve au&nbsp;Palace, d&eacute;sert&eacute;.

Le nouveau mill&eacute;naire s&#39;ouvre sur une bonne surprise :&nbsp;LeBaron, un ancien bordel de l&#39;avenue Marceau, a &eacute;t&eacute; r&eacute;invent&eacute; par le graphiste devenu impresario de la vie nocturne&nbsp;Andr&eacute; Saraiva.&nbsp;Saraiva,&nbsp;Olivier Zahm&nbsp;de&nbsp;Purple Magazine&nbsp;et l&#39;homme d&#39;affaires&nbsp;Jean Yves Le Fur&nbsp;ouvriront par la suite le&nbsp;Montana, rue Saint Benoit, dynamisant ainsi le quartier de Saint Germain.

Quant aux ann&eacute;es 2020, la d&eacute;cennie commence bien avec&nbsp;Cicciolina&nbsp;et&nbsp;Serpent &agrave; Plume,&nbsp;chez&nbsp;Maitre Binoche, et&nbsp;Place des Vosges. Ces lieux vont se r&eacute;inventer apr&egrave;s le couvre-feu de l&#39;&egrave;re pand&eacute;mique qui a permis &agrave; Paris de replonger dans ses comportements de l&#39;&eacute;poque de la prohibition, avec l&#39;ouverture de bars clandestins exclusifs et d&#39;h&ocirc;tels baign&eacute;s de champagne. Les nuits de velours sont &agrave; nouveau souterraines.

Retour sur l'histoire de la nightlife parisienne, des Speakeasies aux clubs de l'an 2000

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